FRANCOIS TEYSSANDIER A PROPOS DE "ENTRE GOUFFRE ET LUMIERE"
ENTRE GOUFFRE ET LUMIERE
Certains poètes cherchent à déconstruire le réel, par une distorsion des mots et des vers, d’autres se contentent de le décrire, avec plus ou moins de talent. Rien de tel dans la démarche poétique d'Éric Dubois. Et notamment dans son dernier recueil « Entre gouffre et lumière », qui vient de paraître aux éditions L’Harmattan. En effet, Éric Dubois s’obstine à reconstruire le réel, par fragments successifs qui s’imbriquent les uns dans les autres pour former un tout homogène, avec une grande et belle économie de moyens. Il utilise, pour ce faire, mais en négligeant tout artifice, une écriture d’une concision extrême qui se déploie au cœur même de la poésie, sans détours inutiles ni rhétorique verbeuse. Les vers, peu nombreux sur la page, existent et respirent entre chaque blanc. Ils sont brefs et tendus comme la corde d’un arc bandé qui s’apprête à décocher sa flèche. En peu de mots, l’essentiel est dit. Le réel recrée par la vision singulière du poète pénètre dans notre œil et notre pensée, mais toujours volontairement tenu à distance, pour ne céder ni au pathos ni à l’émotion facile. Le visible n’est plus tellement dans ce que l’on voit, mais dans ce que l’on écrit.
Il y a, d’autre part, dans chaque texte comme deux poèmes en un. Ce double niveau d’écriture, que le poète maîtrise parfaitement, rompt des habitudes et des automatismes de lecture, enrichit donc la pensée, et lui donne davantage de grain à moudre. L’écriture devient nourriture poétique du corps et de l’esprit, sans jamais parvenir à nous rassasier totalement. Et c’est peut-être (sans doute ?) ce sentiment de manque ou d’incomplétude, qui oblige le poète à écrire à nouveau pour tracer un nouveau sillon dans la matière compacte de notre monde.
La poésie d'Éric Dubois interroge donc le monde qui est le nôtre (ce qui est à la surface des choses et ce qui vibre sous les apparences), mais elle interroge aussi et surtout la poésie elle-même. Elle est une réflexion sur l’écriture, sur ses motivations, ses avancées, ses reculades, ses errances intérieures, ses énigmes existentielles et fondamentales. Pourquoi écrire plutôt que ne pas écrire ? Pour ajouter quelques signes supplémentaires à ce qui existe déjà ? Le poète Éric Dubois n’en sait trop rien, et ne nous assène aucune certitude. En fin de compte, il pose à chaque mot et dans chaque mot des questions, cherche parfois désespérément des réponses. Mais peut-il vraiment les trouver dans la pratique quotidienne de la poésie ? Rien n’est moins sûr.
Les mots je ne les trouve pas
pourquoi ?
Mais, malgré cette quête incessante d’un autre réel, le poète Éric Dubois s’entête à écrire, à tracer quelques signes plus ou moins éphémères dans la mémoire friable du temps. Écrire n’est donc plus seulement une fonction (certes vitale, semble-t-il), c’est avant tout un élan irraisonné et irrépressible vers la dynamique interne de la langue qui projette de la poésie dans la vie de tous les instants du poète, à la fois déterminé et rebelle. Ne jamais se contenter de ce que l’on voit, de ce que l’on ressent au premier abord, de façon souvent épidermique, mais creuser, creuser sans répit jusqu’au cœur des mots et du poème.
Nous sommes tous figés dans l’épaisseur du temps
Figés, peut-être, mais pas désabusés et inertes pour autant. C’est là, sans aucun doute, l’un des plus beaux paradoxes de la poésie d'Éric Dubois.
François TEYSSANDIER
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ENTRE GOUFFRE ET LUMIERE
ERIC DUBOIS
EDITIONS L'HARMATTAN
COLLECTION ACCENT TONIQUE - POESIE
PREFACE DE CHARLES DOBZYNSKI
PRIX : 10.50 €
http://www.editions-harmattan.fr