Les tribulations d'Éric Dubois.

CRITIQUE DE DANA SHISHMANIAN, POETESSE A PROPOS DE "C'EST ENCORE L'HIVER " ERIC DUBOIS- PUBLIE.NET

13 Juin 2009, 19:59pm

Publié par ERIC DUBOIS

Eric,
 
je suis sous le charme : t'as réussi un exploit dont la grandeur est à la hauteur de l'humilité qui l'anime, à savoir à donner voix aux choses, extérieures ou non, aux sentiments, au corps, à l'être, SANS le "je" sujet ! C'est comme dans un exercice bouddhique, le "moi" est absent... complètement anonymisé, et pourtant, l'homme est tellement présent ! Avec tout son contenu, y compris sensuel et sentimental, mais comme expurgé du "lyrisme", dépersonnalisé...

Les pas ne sont pas attachés

à leur propriétaire

 

Ils marchent seuls

dans la nuit

Les distiques s'apprêtent très bien à cette expérience comme d'une traversée de la paroi qui sépare le "moi" et le "monde", on sent le poète s'avancer en zigzaguant perpétuellement entre les 2 côtés du miroir, pour ne laisser que les traces parallèles de la double image qui passe derrière lui... ou le devance !... Et un dialogue subtil naît de là, une osmose corporelle où solitude et solidarité se côtoient, l'individu et le monde s'appartiennent mutuellement :

Quand tes pas

décrivent un arc de cercle

 

Ou rien de particulier

tu entends quoi au juste ?

 

L'appel du monde

quelque chose comme cela

 

Des mots frères

des phrases familières

 

Si tu écoutes bien

si tu es dans de bonnes dispositions

 

C'est bien un appel

plus qu'un cri

 

Des milliers de voix

et tu les entends

 

Ton corps est une antenne

et ta bouche parle d'autres bouches

 

Parle d'autres cœurs

parle d'autres langues

 

Sans effort

tu y consens

 

Le monde a tes bras

tes jambes

 

Tes yeux

 


J'ai noté parfois des chiasmes entre les distiques, ça a l'air savant mais on sent que c'est spontané, cela fait plaisir.
 
Les mots même, dans leur banalité, dans leur immédiateté, tendent à gagner la consistance des choses rugueuses de l'hiver, on sent la Marne, les berges désertes, les rues, les gens qui parlent sans se parler... ce sont presque des couleurs, c'est décharné et pourtant très plastique. Comme par exemple :

Le fleuve

parcourt les veines des passants sur ses quais

 


C'est l'aveu réussi d'une "démocratisation" de la parole poétique : sans céder en rien au "style bas", les phrases du poète font elles aussi partie d'un tout impersonnel :

Elles restent

ces phrases

 

Et contaminent l'ensemble

elles disent

 

Ce qu'elles ont à dire

vraiment

 

Arguments

ou pas

 

Tu ne leur oppose pas

de résistance

 

Elles viennent de toi

de nous

 

Dites par un autre

ou non

 

Elles ont des millions

d'auteurs

 


Et pourtant un souffle discret anime tout ceci :

Que l'esprit n'anime

pas les êtres

 

C'est nous réduire

à l'état de choses

 

Sans une intelligence

extérieure

 

Mais l'esprit

n'a pas de fin

 

C'est l'espoir

 


Il y a tant de distiques mémorables, je dois m'arrêter avec les citations. Trois fois bravo ! Je suis heureuse d'avoir enfin réussi à lire ce recueil...



DANA SHISHMANIAN  



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"C'est encore l'hiver"d'Eric Dubois, collection Zone Risque, Publie.net, prix : 3.49 €


http://www.publie.net






 

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