Eric,
je suis sous le charme : t'as réussi un exploit dont la grandeur est à la hauteur de l'humilité
qui l'anime, à savoir à donner voix aux choses, extérieures ou non, aux sentiments, au corps, à l'être, SANS le "je" sujet ! C'est comme dans un exercice bouddhique, le "moi" est
absent... complètement anonymisé, et pourtant, l'homme est tellement présent ! Avec tout son contenu, y compris sensuel et sentimental, mais comme expurgé du "lyrisme",
dépersonnalisé...
Les pas ne sont pas attachés
à leur propriétaire
Ils marchent seuls
dans la nuit
Les distiques s'apprêtent très bien à cette expérience comme d'une traversée de la paroi qui
sépare le "moi" et le "monde", on sent le poète s'avancer en zigzaguant perpétuellement entre les 2 côtés du miroir, pour ne laisser que les traces parallèles de la double image qui passe
derrière lui... ou le devance !... Et un dialogue subtil naît de là, une osmose corporelle où solitude et solidarité se côtoient, l'individu et le monde s'appartiennent mutuellement :
Quand tes pas
décrivent un arc de cercle
Ou rien de particulier
tu entends quoi au juste ?
L'appel du monde
quelque chose comme cela
Des mots frères
des phrases familières
Si tu écoutes bien
si tu es dans de bonnes dispositions
C'est bien un appel
plus qu'un cri
Des milliers de voix
et tu les entends
Ton corps est une antenne
et ta bouche parle d'autres bouches
Parle d'autres cœurs
parle d'autres langues
Sans effort
tu y consens
Le monde a tes bras
tes jambes
Tes yeux
J'ai noté parfois des chiasmes entre les distiques, ça a l'air savant mais on sent que c'est
spontané, cela fait plaisir.
Les mots même, dans leur banalité, dans leur immédiateté, tendent à gagner la consistance
des choses rugueuses de l'hiver, on sent la Marne, les berges désertes, les rues, les gens qui parlent sans se parler... ce sont presque des couleurs, c'est décharné et pourtant
très plastique. Comme par exemple :
Le fleuve
parcourt les veines des passants sur ses quais
C'est l'aveu réussi d'une "démocratisation" de la parole poétique : sans céder en rien
au "style bas", les phrases du poète font elles aussi partie d'un tout impersonnel :
Elles restent
ces phrases
Et contaminent l'ensemble
elles disent
Ce qu'elles ont à dire
vraiment
Arguments
ou pas
Tu ne leur oppose pas
de résistance
Elles viennent de toi
de nous
Dites par un autre
ou non
Elles ont des millions
d'auteurs
Et pourtant un souffle discret anime tout ceci :
Que l'esprit n'anime
pas les êtres
C'est nous réduire
à l'état de choses
Sans une intelligence
extérieure
Mais l'esprit
n'a pas de fin
C'est l'espoir
Il y a tant de distiques mémorables, je dois m'arrêter avec les citations. Trois fois bravo ! Je suis
heureuse d'avoir enfin réussi à lire ce recueil...
DANA SHISHMANIAN
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"C'est encore l'hiver"d'Eric Dubois, collection Zone Risque, Publie.net, prix : 3.49
€
http://www.publie.net