ARTICLE DE MCDem A PROPOS DE "CE QUE DIT UN NAUFRAGE" ERIC DUBOIS- ENCRES VIVES
M©Dĕm. a lu et commenté pour vous :
Ce que dit un naufrage, d’Éric DUBOIS, éd. Encres Vives, coll. Encres Blanches, Janvier 2012-
Le titre, en évoquant la réalité d’un naufrage, laisse entrevoir un recueillement peut-être d’épaves ; une écriture du désastre. Épaves terrestres, épaves du ciel / reste à voir /on envisage / pour ce : ouvrir les pages…
L’illustration de la 1ère de couverture d’André FALSEN emporte dans le même élan que les mots encore mystérieux du titre, dans le mouvement d’un voyage aux tracés d’une aile morcelée ? du grand large en accostages de lignes brisées ou fracassées, de falaise et/ou de craie ? au bord du noir & du vide… On envisage encore / sur ce : ouvrir le naufrage…
Quel(s) accident(s) de navigation guide / a désorienté ici le poète ? A brisé / brise la digue dans ses jets d’encre & ses vagues démontées ?
L’écriture d’Éric DUBOIS parle au présent et dans la geste d’un quotidien étayé par les mots, même si le passé n’est pas détourné –à preuve ces mots en épigraphe : "à la mémoire d’Edith / au souvenir de Loun et Nestor" . L’écriture redonne à vivre et revoir, à revivre des êtres disparus. Comme les mots –les fragiles- édifient pour mieux nous diriger le monde, en ajoutant au menu de sa propre composition les liens vitaux nécessaires à sa poésie : sa poéVIE. Et l’émotion dans tout cela, entre passé & présent, cimente les consciences et les rassemble, dans leurs dissemblances ou ressemblances par les liens rencontrés des mots.
"Il ne manque que les mots
Les fragiles
Pour se diriger dans le monde"
/
"Quand disparaissent les silhouettes
du passé
La rencontre de l’émotion
Couvrir d’amour la présence offerte"
On comprendra que la poésie d’Éric Dubois est une rencontre, au sens dense et émotionnel du mot, une présence offerte et ouverte sur le monde. L’écriture de l’auteur de Mais qui lira le dernier poème ? continue de creuser des mots dans ses/nos pas et rythme le chemin en terre ensanglanté du quotidien par le tempo des signes –comme là par exemple des verbes :
"J’ai pas envie
j’ai pas
J’ai pas envie
Ici on meurt
à petit feu
On meurt
Je veux vivre ailleurs
Je
Toi aussi
Qu’en dis-tu ?"
La juxtaposition des verbes court ici le monde, à l’instar de nos départs sans cesse reconduits de par la vie journalière. Car, Éric DUBOIS nous le rappelle,
On pourrait penser
que rien ne change
On aurait tort cependant
Les décennies
ont leurs habitants
Mais ce n’est jamais
à demeure
Le commis-boucher, la standardiste, le garçon-coiffeur, / le jour & les papillons de nuit –tous remuent ce monde animant ses visages fermés, s’affolent , tournoient autour de la loupiote du poète qui allume des images et des étincelles pour poser en instantanés dans la permanence imaginAIRe de la page, les éloquences douces ou originales, les légendes de ces êtres qui gravitent et essaiment dans nos microcosmes et nos ego-systèmes.
Écriture de l’attention portée ailleurs que soi? Écriture réaliste ? L’écriture poétique d’Éric DUBOIS porte le souffle sensible (préhensible) du monde dont, par une translation semblable à celle des vases communicants, elle réclame l’attention, en même temps qu’elle la lui accorde instamment par l’acte même d’écrire. Il arrive que cette attention porte la voix du poète à demander une écoute au monde expressément -une demande presque suppliante- un regard à lui porter, quérir un regard lecteur comme une requête existentielle :
Je suis un auteur
j’aimerais qu’on me lise
(…)
S’il-vous-plaît
Faites du buzz autour de moi !
Le poète cherche à trouver / (a/e)ncrer SA place dans le monde, et lui en demande raison de reconnaissance.
Au mitan de la plaquette éditée chez Michel Cosem éditeur dans la collection Encres Blanches la double page ouverte renvoie comme en écho un bruit de falaise sur la page (La mer on l’entend / non ?) – ce que renvoie l’inventaire du temps, à résidence pour ses hôtes, ses habitants, jamais assignés à demeure.
Il y a sans cesse
des départs
Dans le temps
il y a ça
(…)
Il y a des échos dans la voix
(…)
Ce que dit un naufrage
L’auteur me pardonnera j’espère de tronquer ainsi ses textes dont la collation de cette édition ne permet pas d’en réécrire à chaque bribe davantage. Mais ses textes courts et denses portent voix et font écho, je les annote du mieux que je puis en réponse à leur verbe et à leur musique, à leur musicalité, leur timbre, leur tonalité, leurs sources et référents – L’écrivain ne pouvant / commenter.
L’écriture d’Éric Dubois est sobre, presque parfois dénudée, voire épurée–probablement pour signifier la richesse et la profondeur : la complexité édifiante du monde et de ceux qui le peuplent et le traversent. Une écriture poétique au courant fluide mais dense.
Le lyrisme ici, dépouillé de toute sensiblerie, personnalise les éléments naturels, les choses et fait employer des indéfinis dans le tour sémantique des phrases –traduisant ainsi la part inachevée / la phrase inachevée du souffle parcourant la partie visible sensible, le passé, le présent, un souvenir haletant, la sensation d’avancer/ et pourquoi pas d’exister / l’amour en marche dans le même mouvement… toute cette synesthésie des sensations & sentiments sensibles au cœur qui veut bien prendre un peu de sa lumière –et la traduire avec des mots, comme le poète.
La puissance poétique de l’écriture d’Éric Dubois émerge du paradoxe qu’elle joue de ses mots entre le dépouillement d’un style, quasi épuré, & la profondeur résonante de l’humain vibrant sous cette parole. La puissance de l’écriture poétique est ici d’autant plus intense qu’elle semble de visu employer un langage comme à nu et objectif, tout en extrayant de ses strates de surface une écorce soulevée et creusée jusqu’à ses fibres les plus vives et les plus sensibles, jusqu’au jaillissement de la sève, du suc, de l’essence où se sentir exister. L’arbre est ainsi, exprimant à la fois la force de sa fragilité et les failles itinérantes de sa puissance massive et brute. L’arbre que l’on travaille et au travail de son propre grandissement. La poésie d’Éric Dubois, oui, ressemble à l’allure allégorique d’un arbre. Arbre de vie. Comme issue d’une observation objective, brute, travaillée par des mots d’artisan-poète observateur-spectateur-acteur la poésie signe ici de sa patte singulière l’étendue pile et/ou face du monde traversé par l ’universel.
L’humour perce certains poèmes, politesse du désespoir –comme
L’ambition détournée par un grand
Éclat de rire
Qui sauve du désespoir
Un humour qui en dit long sur l’expérience de la vie au long cours expérimentée. Tribulations du poète témoin expérimentateur. (cf. Les tribulations d’Éric DUBOIS sur le blog www.ericdubois.net/).
Prendre le contrôle ou Perdre le contrôle / le monde est à double vitesse (ndla)
Et le poète en en reproduisant l’écho sur la route/déroute de nos acheminements
Dit
Ce que dit un naufrage .
Nous donne à reprendre le contrôle dans la paume de ses mots
Le contrôle du provisoire
La maîtrise de l’Aléatoire, d’un ressenti, de l’émiettement du monde.
L’émotion au bord des objets du monde est dans Ce que dit un naufrage contenue /ou / re-tenue. Retenue, plutôt, sur le fil de l’écriture comme on retient un mot sur le bout de la langue. Comme on retient sa geste pour ne pas… tomber –chuter /sombrer.
Dans son article consacré à Mais qui lira le dernière poème ? paru en février 2014, Laurence BIAVA de BSC News écrit : "Chaque mot semble choisi avec soin, et s’égrène ainsi, sans cacophonie, pour dire la souffrance muette. " Mutisme de la souffrance que l’on retrouve ici dans la pudeur des mots et la profondeur -à l’expression discrète toute en nuances et en douceur posées sur la page- des découragements, des moments noirs… moments de fragilité domptés par l’écriture et le feu de ferveur de l’écriture et des mots mis en poésie, avec une sensibilité sans concession aux antipodes de toute sensiblerie. Dans tous les cas, la sensualité transpire de cette gangue de souffrance ou de mutisme vulnérable face aux offensives ou à la surdité / l’incom-préhension du monde autour.
Une poésie sombre Ce que dit un naufrage ? Une poésie réaliste probablement. A lire à haute voix dans tous les sens de ses résonances. Comme un défi au temps. Par un lecteur-récitant tel qu’Éric DUBOIS justement, ou nous-mêmes dans l’imprégnation des poèmes. Et en remarquer l’empreinte, de toute façon indélébile même si sa mémoire doit en être parfois réactivée. Ce que ne rate pas heureusement pour nous la vie.
S’il-vous-plaît
faites du buzz autour de moi !
Autour de mes livres
(…)
Lisez mes poèmes
mes livres
Aimez-moi ou détestez-moi
Mais lisez !
On lit. Et on aime. Avec l’importance de dire / cela ;
de le dire.
M©Dĕm.
(Murielle Compère-DEMarcy)
*****************************
CE QUE DIT UN NAUFRAGE
ERIC DUBOIS
ENCRES VIVES
COLLECTION ENCRES BLANCHES
(2012)
( 16 pages - Grand Format )
Prix : 6.10 € ( franco de port)
Illustration de couverture : André Falsen
( à commander chez Encres Vives, Michel Cosem
2 allée des Allobroges- 31770 Colomiers - Mail : michelcosem
[at] wanadoo.fr )