BILLET D'HUMEUR DE PATRICIA LARANCO AU SUJET DE L'ETAT ACTUEL DE LA POESIE
Ce qui tue la poésie, ne serait-ce pas, en fin de compte, l’égocentrisme, le manque de plus en plus total d’intérêt pour les problèmes sociaux et d’implication dans ce qu’on appelle « la vie de la Cïté » ? Dans le même ordre d’idées, ne serait-ce pas sa volonté d’élitisme (un peu version « poète dandy ») et/ou de marginalité (un peu version « poète maudit »)qui la conduirait à se détourner du restant du corps social ?
Il se trouve que les gens aiment à lire des choses dans lesquelles ils peuvent se retrouver, se reconnaître, qu’ils adorent les « histoires » comme les petits enfants aiment les contes. Ils apprécient ce qui les sort du quotidien tout en les y maintenant, ce qui les en distancie mais conserve une dimension dans laquelle ils pourraient se situer, s’intégrer, d’où le succès du roman (de l’histoire d’amour idéale que servent les Harlequin de gare et du polar/thriller qui décrit les bas-fonds et les paumés avec exactitude jusqu’aux œuvres majeures de J-M.G.Le Clézio). Ce que, me semble-t-il, les gens cherchent, c’est qu’il n’y ait pas de coupure avec le réel, ni avec la réalité de leurs sentiments, de leurs préoccupations.
Les états d’âme d’un individu solitaire, fussent-ils exprimés en mots et tournures magnifiques et propres à nous transporter, ne les intéressent pas foncièrement, car la poésie recherche une dimension autre, dans laquelle il faut pouvoir et désirer entrer. Il va de soi que la lecture de poésie demande un indéniable effort or nous vivons dans un monde, de plus en plus pressé, du « tout tout de suite ». Se fatiguer à lire des gens sans être sûr de pouvoir les comprendre ? A quoi bon ?
D’autre part, le côté peut-être trop « existentiel » de la poésie actuelle est susceptible de mettre le grand public mal à l’aise : le silence, le sens de la vie, la solitude, le mal-être, la finitude, l’exigence « spirituelle » et l’inadaptation au monde ont plutôt un effet repoussoir. Nous ne vivons pas (du moins en Occident) dans une époque ni une culture très « philosophique », c’est le moins qu’on puisse dire.
Par ailleurs encore, en France, l’ombre des « Grands Poètes qu’on se farcit à l’école » est si pesante, si monumentale, si marmoréenne qu’elle éclipse complètement le caractère vivant, spontané, créatif de la poésie, qui reste un fait.
On croit la poésie morte, en quelque sorte, parce que les « Grands poètes » sont morts, devenus des espèces de « monuments historiques » et qu’ils appartiennent à des temps révolus. Mentalement, l’association d’idées se fait : poésie = vieux auteurs dont on nous fait ânonner les textes en salle de classe (ce qui est rasoir) = ringardise, genre complètement dépassé qu’on a qu’une hâte : oublier au sortir de l’école.
La poésie, c’est un peu comme les maths ou la philosophie : c’est un don, une passion qui s’empare – presque inexplicablement – de l’ensemble d’un être. Le poète vit pour, et avec. Mais sait-il pour autant la communiquer aux autres, y pense-t-il ? Le peut-il ? Le veut-il ?
Il semble que sa forme d’ « autisme », son introversion l’y prépare plutôt mal.
Il n’existe plus actuellement en France de poésie engagée.
Le milieu poétique français, pétri d’individualisme (un individualisme d’ailleurs très en accord avec le tempérament national) et déçu par le naufrage des divers idéaux marxisants, a décrété que ce n’était plus de saison.
Pourtant, nous vivons dans un monde qui regorge de dysfonctionnements, d’injustices et de violence : avons-nous le droit de l’ignorer en nous enfermant dans la « bulle » poésie ?
J’ai la faiblesse de croire que si, déjà, la poésie se remettait à assumer un certain degré d’engagement et ouvrait davantage ses « chapelles » à des créateurs plus jeunes, moins liés au monde des lettrés et de l’ « upper middle class » et, peut-être, plus autodidactes, elle serait nettement plus en phase avec les réalités du monde moderne et du « tous publics », et communiquerait mieux avec lui.
Le blues soulageait la misère des Noirs en racontant leur vie la plus immédiate, parfois la plus « triviale », leurs problèmes quotidiens avec les mots qui leur venaient. Le rap et le slam ont repris le flambeau de cette forme d’expression. D’où, sans doute, leur popularité (pas seulement due au business). Le rap et le slam, d’ailleurs, hérissent l’élitisme et le classicisme sacro-saint de nombreux poètes. S’il veut vraiment être entendu, le poète ne doit-il pas renoncer à un certain nombre de choses auxquelles il tient : son côté lettré, universitaire, nanti ?
A mon sens, qu’elle le veuille ou non, la poésie n’est pas « ailleurs ». Elle ne ressemble en rien à la Vérité de Mulder et Scully dans la série X-Files. Elle est au cœur du monde, et, donc, au cœur de la fracture sociale, voire ethnique (je fais ici allusion au rapport Nord-Sud) de notre siècle.
Autre problème : le poète écrit-il vraiment pour l’Autre ?
Le 19/01/2010.
PATRICIA LARANCO